Laboratoire Africain
de Recherches en Cyberstratégie
Le cyberespace en tant que concept est devenu un objet d’étude scientifique. Tout le monde l’a compris, sauf l’Afrique ! En effet, rares sont les documents officiels, les études universitaires, les livres ou autres publications des africains à propos des TIC et du numérique qui commencent par définir rigoureusement ce concept. Alors qu’ailleurs des centres de recherche pluridisciplinaires se sont penchés sur la question depuis la fin des années 1990, l’Afrique se complait dans une approche superficielle et par conséquent, incomplète.
Cet impensé est très probablement l’un des principaux facteurs expliquant la limite de nos stratégies de transformation numérique sur le continent, qui malgré elles entretiennent notre dépendance technologique vis-à-vis des grandes puissances. Ne pas comprendre le cyberespace dans toute sa complexité, ne pas l’interroger à partir de nos propres grilles d’analyse, nous condamne à ne pas tenir compte de toutes les implications (stratégique, politique, économique, etc.) qui en découlent. C’est habité par cet impératif que je propose, sur la base des études existantes, une première lecture approfondie du cyberespace, sans laquelle il n’est pas possible de penser une cyberstratégie africaine cohérente et opérante.
La genèse du cyberespace : chronologie historique
Comme il est désormais coutume de le rappeler, le mot « cyberespace » a été utilisé pour la première fois dans un ouvrage intitulé Neuromancer, œuvre littéraire de science-fiction publié en 1984 par William Gibson. Pour choisir cette appellation, Gibson s’est inspiré du concept de « cybernétique » qui serait initialement inventé par le mathématicien Français André-Marie Ampère [1834], mais mieux connu plus tard dans les travaux du mathématicien Américain Norbert Wiener, suite à la publication en 1948 de son livre du même titre. Cependant, dans un article dédié à cet effet, nous avons clairement montré que le terme « cybernétique », quel que soit la signification qu’on donne au mot grec [kubernêsis, Kubernêtikê] dont il découle, puise son origine étymologique dans la civilisation égypto-nubienne. Oui, le concept de cybernétique a une étymologie africaine !
Dans son ouvrage devenu culte, William Gibson (par ailleurs fondateur du mouvement cyberpunk) définit le cyberespace comme étant « une hallucination consensuelle vécue quotidiennement en toute légalité par des dizaines de millions d’opérateurs, dans tous les pays, par des gosses auxquels on enseigne les concepts des mathématiques… ». Si cette description du cyberespace semble plus relever d’une expérience de pensée qu’autre chose, Gibson dans ce même livre en propose une autre qu’on pourrait dire plus « prémonitoire ». Il évoque un espace tridimensionnel d’une « infinie complexité », généré électroniquement, dans lequel ses personnages entrent en se connectant par ordinateur.
Il s’agit là d’une représentation mentale des données et de l’information stockées au cœur des systèmes informatiques de toute l’humanité, qui va alimenter des mouvements tels que le cyberpunk, et dont vont s’approprier des générations d’internautes. Mais surtout, cela va servir de base aux pionniers du réseau internet qui vont s’en inspirer pour le concevoir et le développer à l’origine comme un espace de liberté et d’ouverture, décentralisé, autogéré, etc. C’est ce qui transparait par exemple dans la « déclaration d’indépendance du cyberespace », texte publié en 1996 par un membre de la Electronic Frontier Foundation (EFF).
De la fiction à la réalité…
Mais rappelons qu’à ce stade le cyberespace relève de la science-fiction, écrit par un romancier ! Au cours des années 90, la plupart des pays ont procédé à l’installation massive des infrastructures de communications afin de suivre l’initiative américaine, qui domine la construction des réseaux depuis le projet Arpanet en 1969 jusqu’aux débuts d’Internet à partir des années 1990. Cela a abouti à l’expansion de la connectivité à travers le monde, avec l’impact exponentiel qu’on a connu sur toutes nos activités quotidiennes.
Mais en dehors des petits cercles de spécialistes de science-fiction ou des membres de l’EFF, le terme cyberespace était ainsi provisoirement tombé aux oubliettes pour le reste du monde. On parlait alors de nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), pour désigner ce réseau d’infrastructures technologiques qui a permis l’échange des volumes de plus en plus important de données, créant progressivement la société de l’information.
Cette expansion du réseau a généré progressivement de nouveaux risques et…
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